Pierre Arnold et Nina Quintas sont chargés de projet à urbaMonde, une organisation franco-suisse qui promeut l’habitat collaboratif, en fournissant une aide technique à des projets et résidents et en coordonnant le Réseau CoHabitat.
L’ère de la COVID-19 a complètement transformé la façon dont nous vivons, travaillons et socialisons. Vivre dans un logement convenable est essentiel pour pouvoir faire face et s’adapter à cette crise. Le Réseau CoHabitat promeut l’habitat collaboratif en tant que solution non spéculative pour le développement, la gestion et la protection de notre cadre de vie. Durant la pandémie, We Effect a mandaté urbaMonde pour mener une étude mondiale en vue d’évaluer les interrelations entre les initiatives d’habitat collaboratif et les avantages comparatifs pour leurs résidents en vue de résister collectivement aux impacts sanitaires, sociaux et économiques de la crise.
Entre septembre et octobre 2020, cette enquête mondiale a reçu 1.047 réponses de 72 pays ou îles des Caraïbes de résidents qui ont dû choisir le type de statut d’occupation de terrain : propriété collective du foncier (Community Land Trusts (CLT – le terme fiducie foncière communautaire en français est moins connu), coopératives de logement), propriété individuelle (entièrement ou partiellement payée), logement locatif (public ou privé), logement prêté (généralement des locations informelles) ou occupations illégales de terrains (généralement des quartiers informels). Dans cette enquête, l’habitat collaboratif est largement représenté par les initiatives de propriété collective du foncier (PCdF) ainsi que quelques initiatives de co-housing et des quartiers informels organisés, où la communauté est au centre des décisions relatives à la conception, la modification et/ou la gestion de leur environnement bâti. Cette étude a également inclus 52 entretiens de suivi.
Un des principaux résultats de l’étude pointe des niveaux plus élevés de sécurité d’occupation lorsque les terres sont gérées collectivement. En réalité, durant la pandémie, les initiatives de PCdF offrent une protection plus élevée contre les expulsions et les saisies que les autres types de logement.
Menaces d’expulsion en pleine pandémie
Comme le démontrent les données suivantes, les répondants vivant dans des coopératives de logement et des CLT n’ont pas ressenti de menace d’expulsion depuis le début de la pandémie, contrairement à celles et ceux qui habitent dans d’autres types de logement, surtout dans une situation irrégulière vis-à-vis de leur logement (40%), et dans des locations publiques et privées (16,7% et 10,1%).
Figure 1. Pourcentage de répondants par statut d’occupation des terres qui ont reçu des menaces d’expulsion depuis de début de la pandémie.
Les expulsions forcées rendent les ménages extrêmement vulnérables et représentent dans de nombreux cas une violation de plusieurs droits humains. Dans le cadre de la pandémie, ceci est exacerbé par le fait que l’absence d’un logement augmente considérablement les risques sanitaires liés à la COVID-19 pour les ménages expulsés, mais également les communautés environnantes.
Parmi les 73 répondants qui ont été menacés d’expulsion depuis le début de la pandémie, 28 (21 femmes et 7 hommes) ont déclaré avoir effectivement été expulsé (Bangladesh, Inde, Philippines, Sri Lanka, Vietnam, Brésil, Salvador, Nicaragua Kenya, Nigéria et Zimbabwe). Ces expulsions peuvent être individuelles (un locataire formel ou informel expulsé par un propriétaire, ou une saisie pour un ménage achetant une propriété privée), mais également collectives (une partie d’un quartier informel peut être supprimée par une autorité publique pour une infrastructure ou un projet touristique par exemple).
Figure 2. Expulsion effective de répondants qui ont été menacés pendant la pandémie, par statut d’occupation des terres.
Comment l’habitat collaboratif prévient-il le risque d’expulsion ?
Dans nombre des 52 entretiens de suivi, la sécurité d’occupation a été mise en avant comme un des principaux avantages des coopératives de logement, des CLT et des initiatives de co-housing. Ces exemples démontrent la façon dont la sécurité d’occupation a été atteinte par les initiatives d’habitat collaboratif dans différents pays.
Les coopératives de logement d’aide mutuelle (MAHC) en Amérique latine créent généralement un « fonds de soutien » ou un « fonds de solidarité » auquel les membres contribuent chaque mois en plus de leur remboursement hypothécaire à la coopérative. « Le fonds de sécurité s’est avéré essentiel pendant la pandémie pour que nous nous sentions tranquilles et puissions rester chez nous » a affirmé Iris de la MAHC 13 de Enero au Salvador. Chacun des 34 ménages de sa coopérative ont apporté une contribution mensuelle au fonds de sécurité durant la première année qui a suivi leur emménagement, collectant environ 7.700 dollars américains. Ces économies collectives, créées pour aider les membres de la coopérative à faire face aux difficultés économiques, se sont avérées très utiles durant la pandémie, notamment pour les ménages qui ne pouvaient générer de revenus et qui ne recevaient aucune aide des programmes publics.
Dans d’autres types de coopératives et de programmes de co-housing, comme la coopérative Abricoop à Toulouse, en France, les remboursements hypothécaires mensuels sont proportionnels aux revenus de l’année précédente de chaque ménage. Un tel mécanisme ne permet pas de réduire instantanément les coûts de logement mais permet toutefois aux ménages qui ont perdu une partie de leurs revenus en 2020 de réduire les taux de remboursement en 2021, ce qui facilite leur redressement économique. En outre, dans la coopérative de logement de Milton Park à Montréal, au Canada, « le loyer est abordable et vous avez le soutien et des ressources de la communauté », explique Pascale qui est locataire de la coopérative et qui a perdu plus de la moitié de ses revenus usuels depuis le début de la pandémie.
Les CLT se sont également avérées efficaces en termes de résilience aux récessions économiques, notamment durant la crise des subprimes en 2008-2010 aux États-Unis. Cela semble également être le cas durant la crise économique actuelle relative à la COVID-19. Les locataires privés, les locataires de coopératives et les propriétaires de terres gérées par des CLT ont des coûts de logement moindres que sur le marché libre. Par ailleurs, pour les personnes qui ont des difficultés à rembourser leur hypothèque, la CLT peut les aider à négocier avec les banques. En l’absence d’autre option, les CLT peuvent acheter les logements des ménages avant leur saisie, et les aider à trouver une location adéquate, que ce soit au sein de la CLT ou non, comme expliqué dans les entretiens donnés par les directeurs de la Champlain Housing Trust dans le Vermont, et de Dudley Neighbors Inc. CLT à Boston, dans le Massachusetts.
En règle générale, l’habitat collaboratif augmente également la capacité de négocier collectivement un ajustement de remboursement avec l’institution financière (report ou réduction des paiements, réduction des taux d’intérêt, etc.), et permet d’obtenir plus facilement le soutien des organismes de logements sociaux ou des autorités locales.
« Sans la propriété collective, une banque nous aurait déjà expulsés du fait de ne pas être à jour dans les paiements mensuels, mais ici, personne ne va nous prendre notre maison » a affirmé Silvia de la MAHC Fe y Esperanza au Guatemala.
De même, Damaris de la MAHC Altos del Sureste à León, au Nicaragua a déclaré : « Je me sens tranquille, […] nous avons le soutien de la Centrale des Coopératives ainsi que de We Effect ».
Cette enquête a collecté de nombreux autres témoignages, et les entretiens démontrent que dans les régions où il existait un sentiment de communauté fort avant la pandémie, les voisins pouvaient s’entraider et travailler solidairement avec des groupes vulnérables au sein de la communauté locale, au niveau local voire au niveau national. Toutefois, la crise économique n’a de cesse de s’aggraver et les possibilités de générer des revenus sont de plus en plus limitées. Même certaines initiatives d’habitat collaboratif pourraient ne pas être en mesure de garantir la sécurité d’occupation foncière au cours des prochaines années, notamment dans les pays où les réponses des États et les mécanismes de protection sont rares voire inexistants.
Une nouvelle enquête dans un an ou deux permettrait de définir si les initiatives d’habitat collaboratif ont commencé à montrer des difficultés ou non. A l’heure actuelle néanmoins, elles se sont avérées utiles pour fournir des mécanismes efficaces permettant de protéger les résidents contre plusieurs impacts négatifs en période de crise sans précédent. Par conséquent, les initiatives d’habitat collaboratif devraient être promues par les gouvernements locaux, régionaux et nationaux en vue d’encourager des sociétés plus résilientes et cohésives, capables non seulement de faire face à différents défis, mais également de fournir des logements abordables pour plusieurs groupes vulnérables, comme les travailleurs à bas revenus, les personnes âgées et les ménages monoparentaux.
Pour consulter l’ensemble de l’étude : L’Habitat collaboratif dans le contexte de la COVID-19.
Image : Alpas Homes, San José del Monte Bulacan, Philippines
Rejoignez la discussion !