L’injustice dans le domaine du logement est un problème croissant au Liban, où les politiques publiques offrent très peu de protections pour les résidents vulnérables. La précarité des droits fonciers fragilise les locataires qui pourraient dès lors être victimes de violations de ces droits, comme des expulsions illégales et des hausses de loyer, et sous la crainte constante par rapport à la sécurité de leur logement.
L’absence de politiques foncières et de logement adéquates encourage la spéculation immobilière, la démolition fréquente de bâtiments, la négligence des entretiens des immeubles, des taux élevés d’inoccupation, et l’abandon d’immeubles. L’absence de politiques de logement abordable et de règlements en matière de fourniture de logements adéquats génère un tissu urbain abandonné et une hausse de l’informalité, engendrant des conditions effroyables et des services précaires pour les résidents. De nombreux travailleurs migrants, réfugiés et citoyens libanais n’ont pas d’autre choix que celui de vivre dans ces conditions abominables.
La crise du logement au Liban a été exacerbée par l’effondrement économique du pays, l’inflation, la pandémie de COVID-19, et l’explosion d’août 2020 au port de Beyrouth, qui a déplacé 300 000 personnes et causé de nombreux dégâts, détruisant des immeubles à 20 kilomètres à la ronde. Après l’explosion, les menaces d’expulsion ont augmenté dans la mesure où les propriétaires des régions sinistrées ont utilisé les fonds de reconstruction d’organisations non-gouvernementales (ONG) pour réparer et rénover leurs logements, leur permettant ensuite d’augmenter leurs loyers et d’expulser les locataires présents avant l’explosion.
La non-documentation des violations du droit au logement, en raison du manque de suivi et de compte rendu, favorise les mauvaises pratiques de certains propriétaires et de sociétés privées de logement. Étant donné le peu de canaux disponibles pour demander des droits au logement socialement équitables et responsables, les résidents ont été contraints de protester dans la rue.
En vue de sensibiliser le public et les acteurs sur les violations du droit au logement et de promouvoir des changements, Public Works Studio, un organisme de recherche pluridisciplinaire, a développé un Housing Monitor. Essentiellement mis en œuvre à Beyrouth et dans sa périphérie, cet outil en ligne et cette ligne d’appel sont utilisés par les résidents pour dénoncer des vulnérabilités en matière de logement ainsi que des menaces d’expulsion. En réponse, Public Works Studio fournit des services juridiques et sociaux, mobilise les locataires autour de revendications communes et définit les tendances au niveau des injustices en matière de logement, et milite ensuite pour des réformes politiques.
Le projet dans la pratique
Public Works Studio est un organisme de recherche sans but lucratif créé en 2012 en partant du postulat que les architectes, les constructeurs et les urbanistes doivent reconnaître les dimensions politiques et sociales de leur travail. La société est basée à Beyrouth mais développe des projets dans plus de 15 villes libanaises.
Grâce à son Housing Monitor, Public Works Studio permet aux locaux marginalisés à bas revenus de combattre les injustices et la discrimination en matière de logement dans un pays où le manque de données engendre une corruption constante, une mauvaise planification et la marginalisation des groupes vulnérables. Il existe 10 catégories différentes de vio de ces injustices sur la plateforme de Housing Monitor, dont un canal d’urgence pour les résidents impactés par l’explosion de Beyrouth.
En janvier 2020, Housing Monitor avait reçu et évalué 603 rapports de violations du droit au logement et de menaces d’expulsion, dont 472 ont été suivis par une intervention directe du service. Cela inclut 184 consultations et conseils juridiques (104 pour des travailleurs migrants) ; 150 visites de terrain, incluant des négociations entre des propriétaires et des migrants ; la prévention de 92 expulsions (d’autres cas sont en cours) ; et le renvoi de 5 ménages vers des services de rénovation et de 131 ménages vers des services sociaux.
Public Works Studio a sensibilisé le public via les médias avec la publication de neuf articles et de vidéos sur des parcours individuels de locataires. L’organisme a également publié 3 notes juridiques, ainsi que différents rapports, dont un sur 150 rapports de personnes en défaut de paiement, un autre basé sur un échantillon de 145 violations du droit au logement de migrants, et un sur les témoignages de femmes vulnérables. Il a récemment leancé une campagne zéro expulsion qui se concentre sur la fourniture de conseils juridiques et tactiques sur la protection du droit au logement pour les résidents des quartiers touchés par l’explosion de Beyrouth.
Housing Monitor facilite la mobilisation des locataires et des organisations communautaires en se basant sur les vulnérabilités et les intérêts communs en matière de logement. Des associations de résidents, des coalitions et des partenariats avec des organisations comme Legal Agenda, le Mouvement anti-racisme et le Syndicat libanais des personnes handicapées, établissent des solutions permettant aux personnes de faire valoir leur droit au logement.
Le projet a soutenu l’établissement de l’Association des résidents des quartiers affectés par l’explosion du 4 août. Public Works Studio a également publié six guides de quartiers et a formé les résidents locaux à organiser des tours de leurs quartiers en mettant en exergue les problèmes historiques de logement, la gentrification et les déplacements.
Plus d’une vingtaine de documents de plaidoyer ont été publiés et ont été partagés publiquement ou utilisés pour organiser des manifestations par plus de 12 organisations. En collaboration avec 14 autres membres de la Coalition nationale du logement, Public Works Studio s’est engagé dans un travail de plaidoyer et a formé le Comité de défense des droits des locataires au Liban, dont les membres incluent :
Grâce à ce travail, ONU-Habitat a invité d’autres ONG internationales à suivre les expulsions au Liban.
Housing Monitor fournit une base de données sûre pour dénoncer les violations de logement et répond aux besoins de logement des personnes en leur fournissant un accès à des services sociaux et juridiques, et en sensibilisant les groupes vulnérables sur les aides disponibles, notamment les réfugiés et les travailleurs migrants, qui ont peu de représentation juridique et/ou de connaissance de leurs droits.
Entre octobre 2020 et mai 2021, des rapports ont été introduits par des personnes venant de 15 pays différents. La plupart de ces personnes venaient d’Ethiopie (84), suivie par la Syrie (45) et le Soudan (23). De janvier à mai 2021 uniquement, 36 des personnes accompagnées étaient des mères célibataires, toutes provenaient de communautés migrantes et de réfugiés, et 142 autres avaient moins de 18 ans. Les rapports de locataires libanais durant cette période représentent un peu moins d’une personne sur dix (9%) des cas évalués, et les 91% restants proviennent de communautés non-libanaises.
Financement
Public Works Studio propose des services professionnels en conception graphique, architecture, consultance, urbanisme et recherche. L’organisation ne dépend pas de subventions. Toutefois, le projet de Housing Monitor est pour l’instant financé par des subventions. Le développement direct du projet, incluant la structure opérationnelle, a été financé à hauteur de 33 500 dollars par le Relief Centre, une organisation qui rassemble des institutions libanaises et britanniques afin de développer des solutions durables permettant d’améliorer la qualité de vie des résidents libanais.
Housing Monitor a besoin de 80 000 dollars par an pour poursuivre ses activités de suivi et de terrain. Parmi ceux-ci, la gestion des données, les dossiers, les visites de sites, les opérateurs du centre d’appel et le suivi juridique représentent environ 50 000 dollars par an, dont 15 000 dollars sont consacrés à l’analyse des données et aux rapports juridiques et politiques, et 15 000 dollars sont consacrés aux communications.
Après la pandémie de COVID-19 et l’explosion de Beyrouth, les coûts opérationnels du projet ont été financés conjointement par la Fondation Ford (30 000 dollars), HBS (27 750 dollars), et Medico International (25 050 dollars). Ces fonds ont financé le projet en 2021. Public Works Studio développe une stratégie de financement pour engager davantage de bailleurs, préférant travailler avec plusieurs bailleurs fournissant des petites subventions qu’être dépendant d’un seul bailleur. En 2022, le projet sera financé par des fonds de Medico International, la Fondation de France et Legal Agenda.
Impact
Housing Monitor lutte contre les inégalités sociales à Beyrouth en déplaçant le pouvoir des promoteurs et des propriétaires vers les locataires qui sont souvent marginalisés et abusés. En proposant des services d’aide au logement à des groupes vulnérables, le projet contribue à développer une équité sociale autour du droit au logement.
Ce projet a déjà permis d’empêcher l’expulsion de 92 ménages et d’améliorer la sécurité de logement de centaines de bénéficiaires, en particulier de réfugiés et de migrants. Les médias et les programmes de formation continuent de sensibiliser le public sur le droit au logement à Beyrouth.
Après l’explosion du port, Public Works Studio a reconnu l’exclusion des opinions des résidents dans le processus de reconstruction. D’où la création de l’Association des résidents des quartiers affectés par l’explosion du 4 août, qui englobe neuf membres représentant sept quartiers différents et deux groupes minoritaires (réfugiés et migrants).
Public Works Studio milite pour une réforme de la politique de logement en tant que membre de la Coalition Nationale du Logement et via des réunions régulières avec la Public Corporation for Housing, le seul organisme officiel au sein du ministère des Affaires sociales qui est mandaté pour proposer et mettre en œuvre des projets et programmes de logement.
Les questions environnementales sont pleinement intégrées dans le travail de plaidoyer du projet en matière de droit au logement, notamment dans le cadre de son concours Think Housing. Think Housing recherchait des candidatures qui combinaient des solutions de logement abordables avec des pratiques environnementales durables. Les lauréats ont été présentés dans un rapport de recherche disponible sur le site web de Housing Monitor. Public Works Studio milite également contre les politiques d’exclusion qui limitent l’accès aux espaces communs et les pratiques qui engendrent des logements précaires et des problèmes de santé pour les résidents.
Expansion et transfert
L’année prochaine, Public Works Studio veut renforcer ses partenariats afin de collecter des données d’autres villes et régions du Liban. L’organisme reçoit déjà des rapports de Saida et Baalbek, de même que de Tripoli, où le projet devrait s’étendre considérablement en partenariat avec un membre de la Coalition Nationale du Logement.
Sur le plan international, Public Works Studio estime qu’il existe un énorme potentiel pour répliquer le projet de Housing Monitor au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, étant donné le nombre croissant de militants pour des villes plus inclusives, justes et durables. Plus spécifiquement, Public Works Studio a reçu l’intérêt direct de 10Tooba, qui travaille avec des communautés démunies en Égypte, et une organisation au Maroc. Toutefois, étant donné, les restrictions imposées aux ONG et aux défenseurs du logement dans des pays tels que l’Égypte, un outil comme Housing Monitor devra être considérablement adapté.
En tant que premier projet de ce type au Liban, Housing Monitor permet aux locataires de faire exercer leur droit au logement grâce à des rapports directs de problèmes. Il s’agit d’une approche communautaire qui sensibilise les locaux sur leurs droits tout en mobilisant la communauté pour lutter pour une société plus équitable via une réforme des politiques de logement. L’approche innovante et pluridisciplinaire du projet lui permet de développer des solutions de logement et de prévenir les expulsions, réduisant ainsi la souffrance des groupes les plus marginalisés du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.