Les coûts de location ou de remboursement d’une hypothèque à Barcelone, en Espagne, ont augmenté beaucoup plus rapidement que les revenus de la population au cours de ces dernières années. Ce problème, associé à la hausse du chômage due à la crise des subprimes (2007-2010) et, plus récemment, à la pandémie de Covid-19, a accru la pression sur les finances des ménages et mis davantage de personnes en danger d’expulsion. Une grave pénurie de logements sociaux dans la ville implique que les locaux sont confrontés à la menace très réelle de devenir sans-abri. En juin 2022, 650 familles étaient inscrites sur la liste d’attente d’un foyer d’urgence et ce nombre continue d’augmenter.   

Malgré un moratoire sur les expulsions mis en place en raison de la pandémie, il y a encore 20 expulsions en moyenne chaque jour à Barcelone. Cette situation devrait s’aggraver lorsque les moratoires actuels prendront fin le 31 décembre 2022. 

Plusieurs études et initiatives européennes, telles que le Logement d’abord, s’accordent à dire que la sécurité d’occupation et la prévention des expulsions constituent la stratégie la plus importante et la plus efficace pour éliminer le sans-abrisme.   

Depuis 2015, un service municipal de médiation s’efforce de prévenir les expulsions de personnes vulnérables à Barcelone, réduisant non seulement le sans-abrisme et ses conséquences sociales, mais également la charge financière sur le gouvernement municipal en matière d’hébergement et d’accompagnement d’urgence.   

Le Service d’intervention et de médiation en cas de perte de logement et/ou d’occupation (SIPHO) est financé par l’Institut municipal du logement et de la rénovation de Barcelone et mis en œuvre par le biais de son réseau d’organismes locaux de logement. Il fait partie du Plan Stratégique du Droit au Logement 2016-2024 dont l’objectif est de réduire l’exclusion résidentielle à travers l’accroissement du nombre de logements sociaux et abordable à travers la diversification des stratégies (construction de logements publics, collaborations avec le secteur privé et la société civile).  

SIPHO intervient dans 90% des cas où les personnes courent un risque imminent de perdre leur logement et a, à ce jour, fourni des conseils à plus de 31 000 personnes. La demande pour le service a considérablement augmenté durant la pandémie de Covid-19, c’est pourquoi SIPHO a accru ses financements et renforcé son personnel passant de 19 à 43 employés au troisième trimestre de 2022.   

Le projet dans la pratique 

SIPHO s’est inspiré de la campagne pour le droit au logement de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca (PAH) et son objectif est de mettre un terme ou de retarder les expulsions et de fournir une médiation, un soutien et une coordination avec les services sociaux et de logement. La priorité est de maintenir les personnes dans leur logement ou de trouver une alternative conforme aux standards internationaux du Comité des Droits Economiques Sociaux et Culturels.   

Le service intervient dans les cas urgents où un ordre d’expulsion a été exécuté et où les résidents risquent de perdre leur logement dans les 15 jours. Lorsque le délai est plus long, le processus de médiation est mené par un autre service municipal. SIPHO est informé des expulsions imminentes par le pouvoir judiciaire ou par des responsables du logement, des services sociaux ou d’autres organisations impliquées dans le secteur.   

Des informations sont recueillies sur le cas en utilisant toutes les ressources disponibles afin d’établir la composition du ménage (ce qui est particulièrement important dans les cas où des enfants sont impliqués), le type de propriétaire et le motif officiel de l’expulsion (par exemple, le non-paiement du loyer, la fin du bail, l’occupation précaire ou la saisie de l’hypothèque).   

Une entrevue est organisée et une visite à domicile est effectuée, dans la mesure du possible, pour constater l’état du logement. En cas d’urgence, l’entretien est réalisé dans les 48 premières heures. Les données économiques accréditées sont examinées, y compris la situation d’emploi et le revenu, les liens sociaux et communautaires, les informations importantes sur la santé, les indicateurs de vulnérabilité et le fardeau familial. Les données et l’entrevue sont analysées, ainsi que l’historique des locataires, afin de développer un plan d’action d’intervention.   

Travaillant dans le cadre de directives claires, SIPHO contacte et négocie avec le propriétaire, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’une grande entreprise, et présente le cas et le plan d’action. Souvent cela se traduit par l’attribution d’un logement social ou d’un hébergement spécialisé subventionné.        

Si le propriétaire est une entreprise privée, ce qui est le cas dans 52% des affaires, une proposition est formulée pour arrêter l’expulsion comme stipulé dans les règles de la législation en vigueur. Les conditions hypothécaires peuvent être revues par le biais de programmes d’aide. En tant que service municipal, SIPHO a une voix faisant autorité, qu’il a utilisée pour développer des accords spécifiques avec de grands propriétaires, tels que le plus grand propriétaire privé d’Espagne, Blackstone, pour la coordination efficace des cas.   

Pour les 48% restants des cas où une petite entreprise ou un propriétaire particulier est impliqué, SIPHO cherche à se renseigner sur la situation du propriétaire et à établir un plan pour négocier un report de l’expulsion, que ce soit via l’octroi de subventions pour l’éviter, la possibilité de renégocier le prix du loyer ou l’inclusion dans le programme de logements abordables de Barcelone. Dans de tels cas, SIPHO essaie de trouver une situation gagnant-gagnant, de sorte que le propriétaire et le locataire peuvent bénéficier de subventions spécifiques proposées par la municipalité.   

Si l’expulsion est réalisée, SIPHO coordonne la relocalisation urgente du ménage avec les services sociaux et/ou d’urgence. En revanche, si l’expulsion est évitée, un plan est mis en place afin qu’à l’avenir, le résident reçoive l’aide nécessaire pour maintenir son logement.    

De plus, les personnes menacées d’expulsion reçoivent un soutien émotionnel tout au long du processus et les résidents sont accompagnés par le personnel du SIPHO lorsqu’ils traitent avec les différentes parties impliquées dans l’affaire.   

SIPHO se concentre principalement sur l’aide aux groupes vulnérables, y compris les personnes de plus de 65 ans, les ménages avec personnes dépendantes, les femmes enceintes, les personnes handicapées, les personnes souffrant de maladies graves ou de troubles mentaux, les personnes victimes de violence domestique et les personnes économiquement vulnérables.    

Ces critères signifient qu’il est rare que SIPHO n’apporte pas son aide en cas d’expulsion. En 2021, 86% des cas traités par SIPHO concernaient des personnes vivant sous le seuil de pauvreté et 47% concernaient des enfants. Il est important de souligner qu’une grande partie des foyers affectés sont des femmes ayant sous leur responsabilité des enfants ou des personnes dépendantes.   

Financement 

SIPHO est entièrement financé par le gouvernement municipal de Barcelone. Depuis 2015, le coût total du projet s’élève à 4 205 270 euros (4 441 550 dollars).   

Ce montant comprend le coût du contrat actuel qui expire en octobre 2022. Il y a actuellement un appel d’offres en cours pour prolonger le contrat de deux ans supplémentaires, avec la possibilité de le prolonger de deux autres années par la suite, pour le même montant.   

La prochaine étape du programme devrait coûter environ 10 millions d’euros (10 560 000 dollars) plus taxes. Cela comprend les frais de personnel, les coûts d’approvisionnement (par exemple, les services de transport pour les personnes menacées d’expulsion) et les frais de bureau.   

Divers soutiens et subventions sont engagés par le programme. Ceux-ci sont financés par le Consortium du logement de Barcelone, l’autorité municipale couvrant 40% des coûts et le gouvernement de Catalogne couvrant les 60% restants.   

La croissance de SIPHO au cours des sept dernières années reflète la hausse de la pauvreté parmi les résidents de Barcelone. Lors de chaque intervention, le personnel fournit un soutien financier sous la forme de subventions qui couvrent l’endettement et le paiement du loyer pour les résidents qui ont recouvré leur capacité d’effectuer des paiements mais qui ont accumulé des dettes, une aide sociale pour ceux qui ont perdu leur source de revenu, une médiation et une aide juridique afin que ces personnes puissent accéder à un logement social, aux pensions, à des logements accompagnés, à des hébergements pour victimes de violence domestique et à des placements professionnels.   

Pour les propriétaires, il existe un soutien du « portefeuille de logements abordables » – un programme qui garantit que les logements inoccupés peuvent être proposés publiquement à des prix abordables – pour compenser la perte de revenus lorsqu’un nouveau contrat social est négocié.   

Impact social 

La prévention du sans-abrisme permet non seulement d’éviter les traumatismes pour les personnes qui risquent de perdre leur logement, mais elle permet également d’économiser de l’argent pour les finances publiques, étant donné que l’aide post-expulsion des services sociaux a un coût économique beaucoup plus élevé.   

Au cours de ses sept premières années, SIPHO a aidé plus de 31 000 personnes, dont un tiers sont mineures. Il participe à 90% des procédures d’expulsion dans toute la ville, permettant d’éviter neuf expulsions sur 10. Depuis sa création, on a constaté une diminution de 22% des expulsions à Barcelone.   

Une caractéristique clé du service est son approche personnelle. La mise en œuvre de SIPHO par le réseau des organismes locaux du logement facilite une collaboration plus étroite avec les groupes vulnérables menacés d’expulsion et s’éloigne de la politique consistant à considérer les personnes comme des chiffres et des statistiques.    

Dans les cas impliquant des migrants sans papiers, il existe des limites quant aux subventions qui peuvent être utilisées. Cependant, ces groupes sont aidés du mieux possible et se voient offrir d’autres services de médiation et de soutien d’urgence dans la mesure du possible.   

Transfert et expansion 

SIPHO connaît une croissance rapide avec le doublement de son personnel en octobre 2022. Cette croissance s’accompagne d’une nouvelle structure, qui comprend des nouveaux rôles pour les services sociaux, tels que la mobilisation d’hébergements d’urgence, afin de fournir un soutien plus complet et spécialisé.   

À l’avenir, SIPHO continuera de consolider et d’améliorer les services qu’il propose, d’accroître son travail de collaboration avec d’autres services sociaux et d’élaborer de nouvelles stratégies pour permettre aux personnes vulnérables de maintenir leurs logements. 

Le transfert est une priorité clé du programme et une étude est prévue pour évaluer les économies que ce type d’intervention représente pour les finances publiques, dans le but d’encourager la réplication du service dans d’autres villes.   

Il est rare que les administrations locales adoptent une approche aussi proactive en matière de prévention du sans-abrisme, dans la mesure où le problème est généralement pris en charge par les services sociaux ou par les organisations qui s’occupent des personnes qui sont déjà sans abri.  

SIPHO souligne le rôle important que les gouvernements locaux et régionaux peuvent jouer dans la protection du droit au logement et la prévention du sans-abrisme via la médiation entre les parties. La coordination et l’intégration des services et des subventions, ainsi que l’approche humaine du programme, s’avèrent très efficaces pour les résidents, qui, au lieu de faire face à une bureaucratie confuse, trouvent maintenant un service utile et amical pour les soutenir au moment où ils en ont le plus besoin.