Milton Parc est un des quartiers les plus anciens et les plus caractéristiques de Montréal. Situé juste en hors du centre-ville, Milton Parc était connu pour être un quartier vibrant, mais le manque d’entretien a provoqué la détérioration des bâtiments. Dans les années 1970, les promoteurs ont commencé un vaste projet de rénovation urbaine et le quartier a été marqué par une gentrification qui a rendu les loyers de plus en plus inabordables pour les résidents originaux. En réponse, la communauté s’est mobilisée pour trouver des solutions à long terme et éviter les expulsions, ce qui a engendré la création de la Communauté Milton Parc (CMP). Avec le temps et l’aide nécessaire, les bâtiments et les terrains ont été achetés et organisés en un syndicat de copropriété gouverné par une déclaration de copropriété impliquant 25 membres composés de coopératives et sociétés de logement à but non lucratif. Ces règlements ont sécurisé la location pour tous les résidents et créé la plus grande coopérative de logements en Amérique du Nord.

 

Description du projet

Objectifs

L’objectif de la CMP est d’acquérir, rénover et entretenir les bâtiments du quartier de Milton Parc qui étaient menacés d’être achetés et démolis via une approche coopérative afin de :

  • Préserver la valeur architecturale et l’identité locale ;
  • Empêcher la spéculation et garantir l’accessibilité financière à long terme ; et
  • Bâtir une communauté cohérente et mixte.

 

Contexte

Milton Parc est un des plus vieux quartiers de Montréal situé près du centre-ville. Le quartier englobe environ 150 anciens bâtiments, construits principalement au début du 20e siècle et transformés au fil des ans en 600 logements loués à quelques milliers de résidents à revenus faibles et modérés. Milton Parc était connu pour être un quartier vibrant, malgré le délabrement progressif des bâtiments. Dans les années 1970, un promoteur privé a acheté 90 pour cent du quartier et prévoyait de démolir les bâtiments pour les remplacer par la création d’une « ville moderne », avec des tours et un immense centre commercial. Les logements seraient très vite devenus inabordables pour les résidents originaux. En réponse à ce problème, la communauté s’est mobilisée pour trouver une solution à long terme et éviter les expulsions. Cette mobilisation a engendré la création de la CMP qui, avec l’aide des autorités publiques, a acheté les bâtiments et terrains par le biais d’un Syndicat de copropriété gouverné par une Déclaration de copropriété. Ces règlements ont permis de sauver les locations de toutes les personnes qui vivaient dans ce quartier. Chaque locataire a reçu son logement en retour après les rénovations.

Principales caractéristiques

La CMP a été créée en plusieurs étapes :

  • Une mobilisation sociale initiale pour sauver le quartier par le biais de campagnes sociales non-violentes (manifestations, marches et occupations de bâtiments) et de négociations avec le promoteur lors de la prise de conscience de la menace de destruction du quartier.
  • Une étude de faisabilité, avec l’aide d’experts, sur la possibilité d’acheter les bâtiments, les conditions juridiques pour créer des coopératives de logement et l’évaluation du soutien politique pour le projet aux niveaux local, régional et national.
  • L’acquisition des bâtiments et des terrains par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) en 1979, qui s’est engagée à vendre les propriétés à la Société du Patrimoine Urbain de Montréal (SPUM). Les bâtiments appartenaient auparavant à un même promoteur et le fait de les acheter en bloc permettait d’éviter toute spéculation.
  • L’élaboration d’un plan d’action pour préserver le quartier et garantir aux résidents le droit de rester dans le quartier.
  • Le transfert des propriétés dans les années 1980 à la Société d’Amélioration de Milton Parc (SAMP) qui devenait ainsi temporairement propriétaire des propriétés afin de superviser les travaux de rénovation et finalement transférer les propriétés aux coopératives.
  • La signature de la Déclaration de copropriété. Légalement, le contenu et la mission de la déclaration ne peuvent être modifiés.

La structure finale présente les caractéristiques suivantes :

  • Les résidents de Milton Parc sont organisés en 15 coopératives d’habitation qui englobent les membres de la CMP, six sociétés d’habitation à but non lucratif, deux organismes à vocation communautaire, un organisme à vocation commerciale et une société de développement communautaire. Ces résidents, provenant de différents milieux socioéconomiques avec une large proportion de familles à revenus faibles ou modérés, sont les principaux bénéficiaires du projet.
  • Les terrains et les bâtiments sont détenus en fiducie, et appartiennent ainsi à tous les membres (coopératives et sociétés de logement à but non lucratif) et à leur syndicat. Tous les résidents sont des locataires, pas des propriétaires mais des « gardiens d’un bien commun ». Les habitations individuelles ne peuvent dès lors être revendues. Ce système empêche toute flambée des loyers, garantissant ainsi une accessibilité financière sur le long terme.
  • En vertu de la législation québécoise, la CMP est considérée comme un condominium où le syndicat détient les espaces communs (tels que les routes) et où les coopératives individuelles détiennent les terrains en dessous de leurs bâtiments ainsi que les espaces semi-communs (comme les jardins).
  • Si un membre est confronté à des problèmes financiers, la propriété peut uniquement être vendue à un autre copropriétaire.
  • La CMP est comparable à une fiducie foncière communautaire (Community Land Trust – CLT), même si pour une CLT, tous les terrains appartiennent uniquement à la fiducie et n’appartiennent pas à tous les membres dans le cadre d’un accord. Elle peut également être considérée comme une très grande coopérative, où les membres sont les coopératives de logement et les sociétés à but non lucratif et non les résidents individuels.
  • Chacun des 25 copropriétaires est chargé de l’entretien de ses bâtiments et de leur fonctionnement interne, mais partage certaines responsabilités et certains services communs (informations, formations, assurances, etc.).
  • En tant que membres du syndicat, tous les groupes doivent s’assurer que leurs activités respectent les principes de l’accord et ne causent pas de nuisance à d’autres membres.

Coûts

Le coût total du projet était de 30 millions d’euros, qui ont été largement couverts par des fonds publics octroyés par les trois niveaux de gouvernement. Pour l’acquisition originale, le coût total était de 7,5 millions de dollars, dont 5,4 millions ont été fournis par un programme canadien visant à aider des locataires à former des coopératives. Ensuite, la SCHL, la municipalité de Montréal et le gouvernement québecois ont offert 5,8 millions de dollars pour les rénovations. La somme restante (2,2 millions pour l’acquisition, 10,8 millions pour les rénovations et 4,1 millions pour le développement) a été empruntée dans le cadre de prêts hypothécaires. Chaque propriétaire détenait une hypothèque de 35 ans garantie par la SCHL. La SCHL subventionnait la différence entre le taux d’intérêt du marché à l’époque et deux pour cent. Les loyers restaient ainsi assez bas, sur base du loyer original avec une petite augmentation calculée pour couvrir l’hypothèque à deux pour cent, les impôts fonciers, l’entretien, les assurances et les équipements.

Impact

Les résidents ont pu rester dans les logements qu’ils occupaient, ce qui a favorisé une stabilité financière et sociale. Les expulsions pour non-paiement de loyer sont extrêmement rares. La protection de la mixité démographique contre la gentrification et la garantie de la qualité de vie ont eu un impact positif sur le centre-ville de Montréal qui est ainsi devenu plus sûr et agréable pour les résidents, ce qui n’est pas le cas dans de nombreuses villes nord-américaines.

 

Aspects innovants

  • Processus de gouvernance et de gestion communautaire, nés d’une mobilisation pour sauver le quartier.
  • La CMP est le premier projet de cette échelle impliquant la copropriété de coopératives et de sociétés à but non lucratif avec des terrains détenus en fiducie, gouverné par une Déclaration de copropriété. Il reste le plus grand projet de coopérative d’habitation en Amérique du Nord.
  • Les logements et terrains doivent être utilisés pour y vivre et non à des fins lucratives grâce à un système qui garantit l’accessibilité financière à long terme et empêche toute gentrification, avec la sauvegarde du patrimoine local et son inclusion en tant que bien commun.

 

Quel est l’impact sur l’environnement ?

  • Le projet implique la rénovation des bâtiments existants et non la démolition de ceux-ci pour les reconstruire, en utilisant les ressources existantes et en maintenant les structures originales dans la mesure du possible.
  • L’amélioration de l’isolement et des canalisations a eu un impact sur la consommation d’énergie et d’eau. Certaines coopératives ont lancé leurs propres projets pour réduire la consommation d’énergie, comme l’installation de panneaux solaires, de toits verts et de toits « froids ».
  • Le Centre d’écologie urbaine a été créé en 1996 en tant que « laboratoire écologique » visant à faire de Milton Parc un catalyseur pour l’expérimentation de solutions écologiques urbaines innovantes telles que l’installation de toits verts, le recyclage et le compostage des déchets organiques.
  • Des coopératives individuelles ont convenu de maintenir et de créer des espaces verts.

Le projet est-il viable sur le plan financier ?

  • La structure de la CMP permet aux coopératives et aux sociétés de logement à but non lucratif de disposer d’une source stable de revenus émanant des loyers des logements, qui permettent de payer les prêts hypothécaires, les réparations et les investissements communautaires.
  • La fin de la période de remboursement des prêts hypothécaires pour toutes les coopératives se rapproche à grands pas (2017-2018), plaçant la CMP dans une position de sécurité financière renforcée. Dans le futur, ces revenus disponibles seront consacrés à un nouveau cycle de rénovation ou permettront d’offrir une aide supplémentaire à certaines familles qui dépendent actuellement d’aides publiques pour couvrir les coûts de logement.
  • La garantie de loyers abordables à long terme diminue l’insécurité financière, et permet aux résidents d’allouer des ressources pour répondre à d’autres besoins importants et de réaliser des économies et des investissements.
  • Les loyers au sein de la CMP sont nettement plus abordables que les loyers des quartiers voisins (en moyenne deux fois plus bas). L’accès est facilité pour les personnes à très bas revenus qui désirent emménager à Milton Parc, car seuls les groupes défavorisés sur le plan socioéconomique sont éligibles pour emménager dans les nouveaux appartements.
  • La Société de Développement Communautaire (SDC) a été créée pour gérer les espaces commerciaux dans la communauté et contrôler le type de commerces afin que ceux-ci répondent aux besoins des résidents. Les excédents sont réinvestis ou utilisés comme subsides pour des projets qui profitent à l’ensemble de la communauté.

 

Quel est son impact social ?

La CMP se targue de maintenir une communauté mixte sur le plan démographique qui facilite l’intégration de différents groupes. La viabilité sociale à long terme est garantie pour les résidents, et le risque d’expulsion ou de relocation dans des quartiers qui offrent moins d’opportunités sociales, économiques et éducatives est éliminé. En outre, des formations sont proposées aux familles qui disposent de moyens limités pour leur permettre d’acquérir de nouvelles compétences.

La création de la CMP a renforcé les capacités des résidents pour développer des solutions, et organiser et gérer le quartier. La structure coopérative en soi permet le renforcement des capacités, où les membres apprennent à présider des réunions, rédiger des procès-verbaux, tenir une comptabilité, entretenir des propriétés et comprendre les processus de rénovation et d’urbanisme. En réalité, les résidents sont chargés de gérer toutes leurs affaires selon la Déclaration et la constitution spécifique de chaque membre.

En outre, des bénévoles s’engagent à contribuer au fonctionnement de la CMP, et les initiatives individuelles ou collectives de résidents sont encouragées et soutenues. En fournissant un espace de dialogue et d’action, un sentiment de solidarité s’est développé autour du logement, des espaces verts et de la démocratie, engendrant une coopération communautaire via des événements sociaux et des activités communautaires régulières (repas communautaires, ateliers, etc.).

Le projet a également fourni un environnement plus sain aux résidents de Milton Parc. Les maisons ne sont plus délabrées, et des incitations ont été développées pour garantir un entretien à long terme, les coopératives recevant un soutien financier de la SCHL qui dépend de la rénovation efficace des bâtiments et du respect de certaines exigences en matière de santé et de sécurité. Par ailleurs, le Centre d’écologie urbaine se concentre sur la promotion de modes de vie sains via des formations et séminaires et des activités pédestres et cyclistes.

 

Obstacles

  • Au départ, la SCHL ne garantissait pas que les loyers allaient rester abordables à long terme ou que les résidents n’allaient pas devoir quitter leurs logements. En réponse, la communauté s’est mobilisée contre cette décision et le gouvernement fédéral a accepté les conditions de la communauté pour éviter toute impopularité.
  • La CMP et d’autres organisations de logement au Canada sont confrontées à la possibilité de perdre l’aide financière pour les locataires à très bas revenus. La CMP est impliquée dans une coalition pour mettre la pression sur le gouvernement et chercher des alternatives.
  • Il y a parfois des désaccords importants entre les résidents, mais ceux-ci sont résolus par des processus démocratiques.
  • Le maintien d’une implication active de la communauté n’est pas évident lorsque la communauté n’est pas confrontée à des menaces immédiates. L’origine de la CMP peut être tenue pour acquise avec le temps, et la redéfinition d’un nouveau type de leadership pour diriger le projet est essentielle. Des conférences sont organisées pour diffuser l’histoire de Milton Parc, et les résidents sont tenus informés des règlements gouvernant le projet pour permettre un meilleur fonctionnement démocratique et une meilleure compréhension de la Déclaration de copropriété.

 

Leçons retenues

  • Les lois du marché peuvent être contrées par une mobilisation sociale importante des résidents et sympathisants, soutenue par des professionnels tels que des architectes, des urbanistes, des travailleurs sociaux, des avocats, des comptables, etc.
  • Afin de garantir la perpétuité du projet, le processus doit être global et élaboré, ce qui nécessite du temps et de l’engagement.
  • Pour maintenir les valeurs sociales et politiques, il doit y avoir un processus constant de renouvellement et d’éducation.

 

Évaluation

Aucun processus de suivi ou d’évaluation n’a été réalisé sur ce projet.

 

Transfert

Le projet n’a pas été étendu physiquement, car l’accent a été placé sur le maintien du projet existant. La création du Centre d’écologie urbaine a permis le développement du projet et la diffusion des idées de développement d’un environnement durable, cohérent et démocratique dans d’autres quartiers de la ville.

La CMP a été consultée sur son modèle coopératif avec revente limitée, qui a été adapté et transféré dans le projet Benny Farm et la société Chambreclerc qui loge des sans-abri et des personnes souffrant de troubles mentaux à Montréal.

La CMP est reconnue comme un exemple positif de coopérative de logement et a influencé l’expansion des coopératives au Québec et au Canada. Au Québec, il y a actuellement 1 200 coopératives de logement, qui sont organisées en fédérations et réseaux impliqués dans des échanges constants.