Le Cambodge possède une des économies qui connaissent la plus rapide expansion dans le monde, principalement grâce à l’industrie textile et le tourisme. Sa capitale, Phnom Penh, a connu une croissance rapide de sa population au cours de ces vingt dernières années, passant de 560.000 habitants en 1998 à plus de deux millions d’habitants en 2019, en raison notamment de la migration de masse des zones rurales vers les zones urbaines. Toutefois, le pays figure toujours parmi les pays les moins développés du globe, avec un tiers de sa population qui vit dans la pauvreté et avec une personne sur cinq (20%) classée dans la catégorie des « presque pauvres ».

Cette situation est en partie le fruit de l’héritage du régime des Khmers rouges qui, en 1975, a renvoyé les habitants de Phnom Penh vers la campagne et a assassiné pas moins de deux millions de personnes dans les années qui ont suivi. Lors de la chute du régime en 1979, les personnes ont progressivement regagné la capitale. Toutefois, avec l’abolition de la propriété des logements, les premières personnes à occuper les logements vacants sont devenues leurs nouveaux propriétaires, ce qui a engendré le développement de quartiers informels sur des terrains publics non destinés à l’habitation. Le nombre de quartiers informels a continué d’augmenter, alors que le changement climatique obligeait les familles des régions rurales à se rendre en ville pour trouver du travail.

Le développement de ces quartiers a été très mal contrôlé. Nombre de ces quartiers sont vulnérables aux inondations et aux effondrements et sont situés dans des zones très touchées par la sécheresse, les incendies, les tempêtes et l’érosion. Leur présence, principalement sur des terrains publics, est tolérée mais pas légalisée.

Par conséquent, les rénovations et les investissements posent problème. Cette combinaison de facteurs implique pour les résidents un manque de revenus et de nourriture, une pénurie d’eau potable, une hausse des endettements, du trafic et du travail des enfants, de la toxicomanie et de la violence domestique. Cette dernière est particulièrement problématique au Cambodge, où la violence domestique est souvent considérée comme un problème « privé », et où peu d’aides sont disponibles.

Le projet dans la pratique

C’est dans ce contexte que l’organisation Planète Enfants & Développment (PE&D) a lancé son projet Amélioration des habitats et des conditions de vie dans les communautés pauvres de Phnom Penh en 2018, en se reposant sur sa collaboration avec son partenaire local, la Samatapheap Khnom Organization (SKO). Le projet, financé par la Fondation Abbé Pierre et l’Agence française de développement, aide les résidents de quartiers informels en améliorant leurs habitats précaires, en développant des actions communautaires et en fournissant des aides familiales et des formations, notamment sur la violence domestique et la violence basée sur le genre.

PE&D travaille en étroite collaboration avec des ONG locales et le gouvernement municipal, en rencontrant les autorités locales au moins tous les six mois. En établissant des relations avec les autorités locales et en soutenant les groupes de résidents, souvent via des partenariats avec des organisations locales, le projet renforce les capacités des communautés pour leur permettre d’améliorer leurs conditions de vie, tout en promouvant les droits fonciers et en demandant au gouvernement de reconnaître le droit au logement. Dans un contexte où les problèmes relatifs aux droits fonciers compliquent les rénovations des logements, le projet permet aux résidents d’accéder à des financements pour réaliser les travaux de rénovation. Il lutte également contre la violence basée sur le genre et les inégalités, des thèmes dans lesquels PE&D s’est spécialisée au fil des ans.

Le projet a été dans un premier temps développé dans quatre des plus grands quartiers informels de Phnom Penh, et a ensuite été étendu dans quatre autres quartiers après une évaluation positive du projet pilote. Habitat for Humanity Cambodge était initialement chargé des évaluations des habitats et des sites de suivi durant le projet pilote. L’organisation a également formé l’équipe de terrain, composée entièrement de locaux, sur l’approche PASSA, une méthode participative de réductions des risques liés aux catastrophes afin de renforcer la sécurité des hébergements, et a contribué aux premières rénovations. Depuis lors, PE&D s’est pleinement emparé du projet et, lors de l’été 2019, a publié un guide méthodologique, que tous les acteurs peuvent utiliser ou adapter.

Chacun des huit quartiers informels compte entre 200 et 300 ménages et entre 1.000 et 2.000 habitants. Tous les résidents des huit quartiers (environ 10.000 personnes) sont invités à participer aux différentes activités telles que les formations et les réunions, et peuvent bénéficier des améliorations de l’infrastructure communautaire. Les comités de résidents (appelés groupes PASSA) définissent les logements les plus précaires, et prioritisent ces familles pour leur permettre de bénéficier d’une aide. Ces ménages reçoivent un « kit de rénovation » pour réaliser les travaux de rénovation, et une étude de faisabilité est réalisée pour déterminer les matériaux qui doivent être achetés. Dans la plupart des cas, du bois est utilisé pour renforcer ou reconstruire la structure des logements, alors que de la rôle est utilisée pour les toits et les murs. Des travaux de maçonnerie et de plomberie sont également parfois nécessaires. Dans environ un tiers des logements, les familles réalisent elles-mêmes les travaux. Toutefois, si les rénovations nécessaires sont plus complexes, un artisan, souvent un menuisier local, est engagé, et il sera accompagné dans la mesure du possible par des membres de la famille concernée.

Les coûts sont partagés entre le ménage et PE&D, et des emprunts sont disponibles auprès du partenaire financier du projet la Chamroeun Microfinance Institution. Cela permet aux familles d’accéder à des micro-crédits avec des taux d’intérêts régulés et des plans flexibles de remboursement. Les familles les plus vulnérables reçoivent un kit financé entièrement par PE&D.

En termes d’aides sociales, les familles les plus vulnérables sont définies par la Samatapheap Khnom Organization (SKO) et reçoivent une aide familiale d’un travailleur social pendant six à neuf mois. Des centres d’aide ont ouvert dans deux quartiers. PE&D a créé des groupes d’autonomisation financière et des groupes d’économie collective dans deux communautés. Ces groupes visent principalement les femmes victimes de violence domestique.

Les femmes victimes ou menacées de violence domestique reçoivent une aide psychosociale individuelle chaque semaine. Les femmes et leurs partenaires reçoivent également des formations en matière de gestion financière en utilisant une adaptation de la méthode GALS (système d’apprentissage des actions basées sur le genre), qui encourage les participants à considérer les inégalités entre les sexes et le lien entre la pauvreté et la violence domestique. L’éducation financière est utilisée comme point de départ pour sensibiliser le public sur les problèmes basés sur le genre et mobiliser les personnes, en particulier les hommes, afin d’améliorer les relations entre les sexes au sein de leurs propres familles et communautés.

Impact social et environnemental

Le projet a renforcé la sécurité structurelle des logements de quartiers informels, en réduisant les risques d’inondation et d’effondrement. À ce jour, 88 logements ont été renforcés, et 297 personnes (dont 190 femmes) ont été formées sur des techniques de construction durable. Le projet a également créé un environnement familial plus sûr pour de nombreux bénéficiaires, tout en travaillant en étroite collaboration avec les familles afin d’améliorer leurs opportunités, réduire la violence domestique et améliorer l’indépendance financière.

Des aides sociales ont été fournies à 206 familles, dont des aides en matière de violence domestique, et 152 personnes (124 femmes) ont été formées sur l’approche PASSA, à savoir une méthode participative de réduction des risques liés aux catastrophes pour renforcer la sécurité des hébergements. Des formations ont également été données en matière d’éducation financière et d’égalité entre les sexes (à 140 personnes, dont 100 femmes), d’économies et de groupes de crédit (34 femmes) et d’aides familiales (58 personnes dont 50 femmes).

Les programmes d’économie collective pour les femmes victimes de violence domestique a non seulement renforcé les liens entre les participantes mais a également permis de renforcer l’indépendance financière de ces femmes. Les comités de résidents ont également contribué à renforcer la solidarité dans les quartiers et à promouvoir l’engagement des communautés. Environ quatre-cinquième (80%) des bénévoles communautaires sont des femmes. L’objectif initial de former 40 artisans dans la construction a déjà été dépassé, créant ainsi de nouvelles opportunités économiques et promouvant l’indépendance financière dans les quartiers.

L’avenir

D’ici à la fin de la première phase (été 2021), le projet vise à améliorer 150 logements et à fournir une aide familiale à 300 ménages.

Une nouvelle phase de trois ans est déjà prévue. PE&D étudie d’ores et déjà la possibilité d’étendre le projet dans d’autres villes cambodgiennes. Ils continuent de lutter contre la problématique de l’accès juridique au logement, qui est un obstacle majeur à la rénovation des logements à plus grande échelle, et de militer pour le développement du logement social, avec une étude prévue d’ici à la fin 2020.

Le rôle principal du projet a été mis en lumière durant la crise de la COVID-19, qui a confiné de nombreuses familles dans des logements exigus et précaires, augmentant ainsi le risque de violence domestique et privant de nombreuses familles de leurs moyens de subsistance. Le projet a répondu en mobilisant des fonds en vue de former les résidents sur la prévention et les traitements, en distribuant des kits d’hygiène et des livres aux enfants de deux communautés ciblées, en organisant des dons pour des ménages victimes d’une perte de revenus et en mobilisant des bénévoles communautaires en vue d’accompagner les familles victimes de violences à l’encontre de femmes et enfants.